Collection de microscopie

une belle paire
La paire de microscopes Wild M9 et M11 de la Collection de microscopie
 

Wild Heerbrugg, firme suisse, d’optique principalement, est née au début des années 1920 ; la marque a disparu en 1989, intégrée dans le groupe Leitz. Au départ spécialisée en instruments de géodésie, Wild a ensuite élargi son champ d’action tout en conservant une réputation sans faille vu la remarquable qualité de ses produits. Ses deux premiers modèles de microscopes, M9 et M10, mûris pendant la Seconde Guerre mondiale, sont apparus simultanément en 1947…

Le M11, qui succède au M9 en 1954, est encore apprécié aujourd’hui et se trouve assez fréquemment sur le marché de l’occasion (fig. 1). En 1955, par l’intitulé de sa brochure, le fabricant annonce « Le microscope de forme nouvelle, facilement transportable ». Au fil des 24 pages du document, on découvre son ergonomie avantageuse tant pour l’utilisation que pour le transport, sa modularité, les différentes configurations proposées et les nombreux accessoires disponibles. Mais, surtout, l’accent est mis sur l’aptitude de cet instrument à être employé dans des conditions extrêmes : il reste fonctionnel et ne s’altère pas sous un climat tropical, ni dans les régions polaires, comme sont supposées en témoigner les illustrations pour le moins naïves extraites de la brochure (fig. 2 & 3). Le M11 a beaucoup été utilisé en Afrique – où probablement il doit l’être encore –, comme l’évoquent des timbres-poste de Guinée en 1960 et du Ghana en 1976, sur lesquels il est reconnaissable à coup sûr (fig. 4 & 5). Pour le transport, une cloche métallique protectrice vient solidement s’accrocher à la base ronde de l’instrument. Elle est visible en arrière-plan de la photographie qui montre l’exemplaire exposé au µZoo [1] (n° de série 30533) (fig. 1). C’est cette conception, dérivée des théodolites réputés de la marque, qui a induit la silhouette inhabituelle pour un microscope moderne : étroite et étirée en hauteur. Un ingénieux porte-accessoires amovible peut prendre place sous la platine, à l’intérieur de la cloche ; de quoi emporter aisément quatre objectifs et deux oculaires supplémentaires ainsi qu’un petit flacon d’huile d’immersion.
 

Wild Fig1 Fig 1. Le microscope Wild M11 de la Collection de microscopie

Wild Fig2
Fig 2. Une illustration de la brochure du M11

Wild Fig3
Fig 3. Une illustration de la brochure du M11

 

Wild Fig4
Fig 4. Timbre-poste de Guinée

Wild Fig5 Fig 5. Timbre-poste du Ghana


En raison d’un rapport évident avec la colonisation, un Wild M11 a été exposé à la Bibliothèque des Sciences humaines de l’ULB en juillet 2022, à l’occasion de la conférence internationale du Réseau du patrimoine académique européen, Universeum [2]. Il s’agissait là d’une variante binoculaire (n° de série 78485) équipée pour l’observation en contraste de phase (fig. 6, à droite).

Le M9, lui, est rare aujourd’hui (fig. 6, à gauche). Il n’a pas été prévu en version binoculaire, la compacité ayant sans doute été un critère important dans sa conception. Sa cloche protectrice, son porte accessoire et l’allure du statif préfigurent le M11. La ressemblance est telle que si l’on voit les deux modèles de base séparément, sans point de repère, on peut les confondre en se laissant tromper par leur allure générale. Le dessin de la potence est similaire, de même que la disposition des commandes de mise au point. Pourtant, les différences sont nombreuses. N’en retenons que deux. D’une part, le M9 est sensiblement plus petit que le M11. De l’autre, dans le cas du M11, la commande de mise au point grossière agit sur le tube et celle de mise au pont fine sur la platine, tandis que, dans le cas du M9, la platine est fixe et la mise au point, quel qu’en soit le mode, se fait par déplacement du tube. Là, il y a donc eu un revirement quant à la mécanique choisie. Le lancement du M9, très original à côté du classique M10, était-il une sorte de coup d’essai ? Le M11 a pris sa place sept ans plus tard, en conservant son allure caractéristique et sa vocation. La formule d’annonce de ce dernier, « microscope de forme nouvelle », paraît donc bien étrange de la part du fabricant…
 

Wild Fig6

Fig 6. Les microscopes Wild M9 (à gauche) et M11 (à droite) de la Collection de microscopie

Wild Fig7
Fig 7. Emplacement de la plaquette fixée sur la base du M9

Wild Fig8
Fig 8. Inscription de la plaquette fixée sous la base du M9



Dans les brochures d’époque, le M9 était présenté comme microscope de terrain et pour étudiants. L’exemplaire acquis récemment (n° de série 3508) est en très bon état. S’il lui manque malheureusement sa cloche protectrice, en revanche, à l’équipement de base « n°16 » du catalogue – à savoir un objectif 7x et un 40x simplement achromatiques – sont venus s’ajouter deux coûteux objectifs de qualité supérieure : un Plan Fluotar 6x et un Fluotar 50x à immersion homogène. Dès l’achat ou par la suite ? Les objectifs semi-apochromatiques de la gamme Fluotar sont apparus en 1950… En tout cas, ce choix éclairé fait supposer que le microscope en question n’était pas destiné à être utilisé en salle d’étude, mais devait répondre à des exigences élevées en ce qui concerne les performances optiques. Dans le même ordre d’idées, le fait que la cloche se soit perdue dans le temps incite à penser qu’il a servi dans un lieu où une protection de ce genre s’avère plus encombrante qu’autre chose, et non sur le terrain. Son état, quasi neuf, renforce cette présomption.

À noter que l’utilisation en salle a aussi été préconisée pour le M11. Dans un but commercial, sans doute, car sa conception atypique l’ouvrait surtout à d’autres possibilités d’emploi, auxquelles ne pouvaient pas ou peu prétendre les Leitz SM et Carl Zeiss Standard Junior qui, fiables à souhait, envahissaient le marché des salles de travaux pratiques.

Une plaquette fixée latéralement sur la base du M9 porte l’indication "Concessionnaire exclusif pour Belgique et Congo - A. Van Hopplynus de Cock - Bruxelles" (fig. 7). Sur le M11 exposé au µZoo, on lit de façon analogue : "Concessionnaire exclusif pour Belgique et Congo - Van Hopplynus - Bruxelles Léopoldville". Van Hopplynus était – et est toujours, mais sous un nom dérivé – un opticien renommé, installé rue Royale à Bruxelles, importateur des produits Wild en leur temps ; il a été associé à de Cock qui, lui, était installé en Afrique...

Enfin, notre M9 recèle un petit mystère. Sous la base de l’instrument, une autre plaquette a été fixée à la colle forte. On y voit un U et un G entrelacés (fig. 8). Pour Université de Gand (le microscope ayant été acheté à Zottegem, non loin de Gand) ou pour Université du Ghana ? En fonction de ce qui précède, les deux hypothèses sont plausibles. D’autres aussi, bien sûr... Le vendeur n’a aucune idée du parcours de l’instrument et, au moment de rédiger ces lignes, je n’ai pas encore réussi à identifier le logo de façon certaine. Mais je ne désespère pas.

Ainsi la paire de microscopes Wild M9 et M11 a-t-elle de quoi susciter la curiosité.

 

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[1] ULB, Campus du Solbosch, bâtiment U, local U.A.2.313 ; visite sur demande.
[2] Intitulée "University Museums & Collections: Challenges of the Past – Responsibilities for Today” et organisée par le Réseau des Musées de l’ULB et la KU Leuven du 5 au 8/07/2022.
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Pierre Devahif
Collection de microscopie

Mis à jour le 26 janvier 2023