Tribulum ou traineau à dépiquer

L'Écomusée du Viroin possède dans ses collections un très beau tribulum ou traineau à dépiquer (fig. 1), provenant d'Andalousie, acquis par le Professeur Jean-Jacques Van Mol, fondateur de l'Écomusée, dans les années 1980, dans une brocante à Auderghem.
Il s'agit d'une très grande planche en bois, d'1,31 m de long pour 0,61 m de large, dont la partie antérieure est légèrement incurvée vers le haut.

Caractéristique du pourtour méditerranéen, cet engin, dont la face inférieure, en contact avec les céréales et tournée vers le sol (fig. 2), est incrustée de centaines, voire de milliers de fragments d'éclats tranchants en silex (fig. 3) ou en quartz, est tiré par un ou deux équidés (ânes, mules ou cheval – fig. 4 et 5) ou par un ou deux bœufs (fig. 6). Il sert au dépiquage des céréales, surtout celles de la famille des blés. Le dépiquage sert à détacher le grain des épis, à l'instar du battage pratiqué dans nos régions à l'aide du fléau, avant la mécanisation des travaux agricoles. Le tribulum est utilisé sur l'aire, qui peut être en terre argileuse battue ou pavée.

Le tribulum (trillo en espagnol) est bien connu pendant l'époque romaine, qui lui a donné son nom : de tero avec le suffixe -bulum (battre le blé). Il est notamment décrit par Columelle au Ier siècle après J.-C. : si le grain doit être battu sur l'aire, il n'y a pas de doute que le travail ne soit mieux fait par des chevaux que par des bœufs ; si l'on n'a pas assez de ces animaux à sa disposition, on peut s'aider de rouleaux ou de traîneaux : machines qui froissent suffisamment les chalumeaux (De rustica : XXI).

L'Antiquité n'est cependant pas la première occurrence de son utilisation : certaines figurations remontent beaucoup plus haut (fig. 7 et 8) ; des analyses tracéologiques démontrent que le tribulum a déjà été utilisé dans la région de Mossoul (Irak), au début du III^e millénaire avant J.-C., au Néolithique(fig. 9), et peut-être même beaucoup plus tôt.
En Espagne comme dans le nord de l'Afrique, il reste en usage jusqu'au milieu du XX^e siècle et parfois même plus tard, avant d'être remplacé par des rouleaux cannelés, puis par des batteuses et, enfin, par les moissonneuses-batteuses, qui font tout le travail, pour les agriculteurs qui peuvent les louer ou se les offrir.

Ce tribulum est maintenant exposé dans un tout nouvel espace consacré au battage, autour du four à pain du logis des domestiques de la Ferme-château, datant du XIX^e siècle.


Pierre Cattelain
Conservateur de l'Écomusée du Viroin

Fig. 3 : Détail du tribulum de l'Écomusée du Viroin. Photo P. Cattelain © Écomusée du Viroin

Références​

• ​Anderson, P. C., Premiers tribulums, premières tractions animales au Proche-Orient vers 8000-7500 BP ?, 2006, p. 299-316.
• https://www.researchgate.net/publication/302185752_Premiers_tribulums_premieres_tractions_animales_au_Proche-Orient_vers_8000-7500_BP/link/57bdfe0808aeb95224d06302/download
• Anderson, P. C., J.-M. Georges, R. Vargiolu & H. Zahouani, “Insights from a tribological analysis of the tribulum”. Journal of Archaeological Science 33 (11), 2006, p. 1559-1568.
• Anderson, P. C. & M.-L. Inizan, « Lames "cananéennes" lustrées à Kutan (Ninive V) dans la région de Mossoul, Irak ». Paléorient, 20 (2), 1994, p. 85-103.
• Columelle – De rustica. Paris, Les Belles Lettres (Collection Budé), 208 p.
• Littauer, M. A. & J. J. Crouwel, “Ceremonial threshing in the ancient Near East”. Iraq 52, Cambridge University Press, 1990, p. 19-23.
• Roux, P. M. J., Moisson, battage, vannage, stockage des céréales aux périodes protohistorique et antique dans le monde égéen : Histoire des techniques. Anthropologie sociale et ethnologie. Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, UMR 7041 Arscan. Thèse de doctorat, 2015, 290 p.
• Skakun, N., « Le tribulum ou planche à dépiquer. Approche pluridisciplinaire des outils du premier âge des Métaux ». Cahier des thèmes transversaux ArScAn, CNRS - UMR 7041 (Archéologie et Sciences de l'Antiquité - ArScAn), 2002, p. 305-312.