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Paire de sabots de Bethmale (Ariège, France)

Écomusée du Viroin

Figure 1 Figures 2 et 3 Figure 4

Sabots vernis de fillette (fig. 1). La partie en bois est gravée d’un motif végétal. La couverture de cuir rouge est décorée d'un motif de cœur formé à l'aide de clous en cuivre. La semelle est peinte en rouge.

Les sabots de Bethmale, en bois de hêtre et à la longue pointe recourbée vers le haut, dépourvus de talon, sont une particularité vestimentaire très originale de la petite vallée des Pyrénées centrales, qui leur a donné son nom. Les sabots ne sont non pas taillés dans un bloc équarri, mais sculptés dans du bois de hêtre courbé pendant sa croissance par la nature ou par le sabotier lui-même, qui veut créer une pointe pouvant surmonter l’extrémité du sabot des femmes d’une vingtaine de centimètres. Ces longues pointes ne sont peut-être pas seulement décoratives, mais peuvent aussi avoir été fonctionnelles : en zone montagneuse et pendant la « mauvaise » saison, elles permettent d'enlever la neige et la boue de la semelle des sabots en utilisant la pointe de l'un pour gratter la semelle de l'autre. Ce ne semble plus être le cas pour les sabots actuels, essentiellement folkloriques et trop raffinés pour ce genre de pratique.
Ces sabots font partie du costume traditionnel des groupes bethmalais (associations d'art populaire), de la Bethmalaise et des Biroussans (fig. 2 et 3). Par leur esthétique unique et originale, les sabots de Bethmale sont devenus un emblème majeur et représentatif de la région naturelle et historique du Couserans, à l'ouest de Foix.

Il y a plusieurs explications légendaires concernant les origines de cet accessoire traditionnel si particulier. Elles sont regroupées ici en quatre hypothèses :

  1. La première, et la plus connue, attribue l’origine du costume vers 1600, lors du retour au pays d’un habitant de la vallée après un long voyage en Grèce. L’isolement de la vallée de Bethmale aurait empêché l'évolution du modèle. Jacques Bégouën, spécialiste de la question, explique aussi que ce Bethmalais avait notamment ramené de ses pérégrinations un harem et de nombreux serviteurs ; cette population fit souche dans la vallée et conserva ses coutumes. Mais les mœurs inhabituelles de ces gens scandalisèrent les habitants des vallées voisines, qui mirent Bethmale au ban de la société, d’où la conservation de ce costume d’origine grecque.
  2. La seconde hypothèse est émise par l’abbé H. Duclos. Dans son « Histoire des Ariégeois » publiée entre 1881 et 1887, il attribue l’origine du costume à une population irlandaise habitant une île grecque et ramenée par le seigneur de Solan à son retour des croisades. Ils s’installèrent dans la vallée et adaptèrent leur costume aux rigueurs du climat, tout en gardant son cachet d’origine.
  3. La troisième évoque un fait historique marquant : la Guerre des Demoiselles, révolte paysanne de 1829 à 1832. Elle doit son nom au fait que les paysans apparaissaient plus ou moins déguisés en femmes pour mener leurs attaques. Les nouvelles réglementations forestières troublaient les profondes traditions des communautés de montagne. En effet, la matière première pour tous les ustensiles ménagers, outils des champs, ainsi que pour les sabots, était le bois et chacun avait l’habitude d’en user librement en forêt. Les nouvelles réglementations forestières provoquèrent une révolte qui renforça chaque communauté dans son unité et sa différence par rapport aux voisines et au pouvoir central. Ces différenciations sont apparues dans les manières de se vêtir. La forme particulière du sabot bethmalais pourrait dater de cette époque, symbole d’une sorte de défi aux autorités forestières.
  4. La dernière hypothèse ne concerne que les sabots et se base sur une légende populaire plutôt cruelle, que voici. Au VIIe siècle, les Musulmans de Mauritanie (Maures) envahissent le sud de la France et, tout particulièrement, les Pyrénées. Ils occupent notamment la vallée de Bethmale sous la conduite de leur chef. Le fils de ce chef, Boedbit, tombe amoureux de la plus belle fille de la vallée, qui porte le joli nom d'Esclarelys (Étoile de lys) et est fiancée à Dannaert, berger et chasseur d'isards. Esclarelys se laisse séduire par ce nouveau prétendant. Dannaert se réfugie dans la montagne et prépare sa vengeance avec ses compagnons, tandis que les vieillards aussi bien que les hommes valides font de la résistance. Dannaert déracine deux noyers dont la base forme un angle droit avec les racines. À l'aide d'une hache et d'un couteau, il taille et creuse une paire de sabots en forme de croissant de lune avec une longue pointe effilée. Ensuite, lui et ses bergers attaquent les Maures et remportent la victoire. Dannaert fait alors aligner toutes les filles à marier et les passe en revue chaussé d’étranges sabots à longues pointes relevées à la verticale sur les lesquels deux morceaux de chair sont embrochées. Ce sont les cœurs prélevés sur les corps des deux amants, que le fiancé trompé vient de jeter en pâture aux bêtes fauves de la montagne pour se venger. Depuis ce temps-là, le soir de Noël, le fiancé offre à sa promise une paire de sabots à longues pointes, habillés de cuir et richement décorés de clous dorés dessinant un cœur sur le dessus du sabot (fig. 4) : plus la pointe des sabots est longue, plus l'amour est ardent. En retour, la fiancée lui offre un tricot en laine brodé de velours et une bourse empanachée de rubans, de paillettes ou de jais.


Sources :

  • Begouën, J., « La vallée de Bethmale (Ariège-Pyrénées) (Suite). Sabots – Ustensiles laitiers ». Bulletin de la Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1965.
  • Bossan, M.-J., L'art de la chaussure, New-York, Parkstone Press, 2015.
  • Duclos, H., Histoire des Ariégeois (comté de Foix et vicomté de Couserans). De l'esprit et de la force intellectuelle et morale dans l'Ariège et les Pyrénées centrales, Paris, Didier, 1887.
  • Krysztoforski, Y., Sabots et sabotiers d’ici et d’ailleurs, Thoard, Cheminements Éditions, 1996.


Pierre Cattelain
Conservateur de l'Écomusée du Viroin

Mis à jour le 16 avril 2020