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Microscope Seibert
Collection de microscopie
Fig. 1 : Le microscope Seibert dans une vitrine du Muséum de zoologie et d'anthropologie
Fig. 2 : Le microscope Seibert de la Collection de microscopie
Fig. 3 : Hanchement du microscope Seibert
Une indiscutable élégance, un discret hanchement suggestif… Coup de foudre en juillet 2009 et aussitôt acquisition d'un microscope Seibert. Passé le premier émoi, l’objet a été soigneusement rangé, jusqu’à être choisi en 2016 pour témoigner dans une vitrine, au Muséum de zoologie et d’anthropologie (fig. 1). Quelques années plus tard encore, des attraits insoupçonnés se sont dévoilés au hasard de recherches à un autre propos ; de quoi attiser la curiosité. Alors les surprises se sont succédé… Un tournant de l’histoire de la biologie est intimement associé à ce modèle particulier. Il suscite l’intérêt par son esthétique, l’originalité de sa conception, par sa qualité optique, mais aussi en raison de ce qui entoure sa genèse et de quelques utilisateurs célèbres dans le passé.
Le numéro de série de l’instrument est marqué dans le bois de son coffret de transport. (Cette façon de faire, en usage anciennement, même chez les fabricants réputés, n'était pas aussi aberrante qu’elle paraît aujourd’hui.) Du premier chiffre, seule la partie droite est clairement lisible, laissant planer un petit doute. Toutefois, on peut raisonnablement considérer qu’il s’agit du numéro 3323, ce qui date le microscope des années 1879-1880. De nombreux indices permettent de penser qu’il n’y a pas eu mélange hasardeux de composants d’origines diverses.
Travaillant dans la firme d'optique allemande fondée à Wetzlar par Carl Kellner, les frères Wilhelm et Heinrich Seibert y ont côtoyé un certain Ernst Gundlach. Ils ont ensuite collaboré avec celui-ci quand il s'est établi à son propre compte en 1869, à Wetzlar d’abord. Après quelques péripéties, Gundlach a émigré vers l’Amérique en 1872 et les Seibert ont alors acheté son entreprise. La nouvelle société, toujours à Wetzlar, fut connue sous le nom de Seibert & Krafft jusqu’en 1884 et devint ensuite W. & H. Seibert. Intégrée au groupe Leitz pendant la Première Guerre mondiale, elle a continué à fabriquer ses propres produits sous son nom, pendant une quinzaine d’années. Ce récit très succinct ne rend guère compte des destins croisés, plus complexes et plus romanesques, d’Ernst Gundlach et des frères Seibert, mais il explique l’existence de microscopes griffés Gundlach très ressemblants à celui qui nous occupe et on y trouve l’origine de certaines caractéristiques de celui-ci.
Seibert proposait le choix entre deux types de coffret : vertical, à poser, ou horizontal, voué au transport, ce qui est le cas de celui-ci. Il est muni non seulement d’une fermeture à clé, mais encore de deux crochets largement dimensionnés, à l’instar de la poignée. L’intérieur est aménagé (un compartiment avec couvercle ; un emplacement calculé pour une petite boîte pouvant contenir quatre objectifs ; des évidements calibrés pour trois oculaires et trois diaphragmes – cf. plus loin). Parfaitement adapté à la forme du microscope et des accessoires, il est, par endroits, rembourré et couvert de velours. L’ensemble est conçu de telle sorte que tout, à l’intérieur, est maintenu immobile et bien protégé.
Le microscope (fig. 2), assez probablement un « Stativ 3 », est un monoculaire du type tube droit (télescopique) inclinable, tout en laiton avec un peu de cuivre… et du verre aussi, bien sûr. Il est équipé d’une tourelle pour quatre objectifs, d’une platine ronde, centrable, tournante et graduée. (Le modèle "4", en tout autre point semblable, possède une platine carrée.) La mise au point rapide est assurée de façon assez ordinaire par un système à pignon et crémaillère. En revanche, la mise au point fine se fait selon un principe retenu par Gundlach pour garantir une rigueur constante de l’alignement optique. Gundlach encore est à l’origine de l’aspect dissymétrique. Le hanchement n’est pas purement esthétique, il dégage l’accès au bouton de mise au point fine qui, contrairement à ce qui se faisait d’habitude à l’époque, se trouve ici en position basse pour une meilleure ergonomie (fig. 3). Les parties optiques ne sont pas aux normes RMS (Royal Microscopical Society). Lors de son acquisition en 2009, le microscope était équipé des objectifs III, V et VII (à immersion à eau) et des oculaires 0, I Periskopisch et II. Un objectif VI est venu s’ajouter par la suite. Cet équipement permet des grandissements finaux de 70x environ à 1000x. Les objectifs VI (à sec) et VII (à immersion à eau) sont munis d’un dispositif de correction permettant d’optimiser la qualité de l’image en fonction de l’épaisseur de la lamelle couvre-objet.
À proximité du microscope, dans la vitrine au Muséum, se trouvent, en clin d’œil à l’Histoire, deux autres objectifs V. L’un est signé Gundlach Berlin et son conteneur en laiton (dans lequel il se visse équipé d'un adaptateur RMS) porte la mention Baker agent London ; il peut donc être daté de 1871-1872, Baker n’ayant représenté Gundlach pour l’Angleterre que pendant ces deux années. L’autre, au design plus moderne, est un Gundlach – Rochester.
L’éclairage par transparence est assuré en premier par un double miroir, plan d’un côté, concave de l’autre, tandis qu’à la face inférieure de la platine, un dispositif à glissière permet de changer de mode. Une particularité de l’exemplaire Seibert modèle 3 en notre possession réside dans la diversité des possibilités fournies. Le système le plus élémentaire consiste en un jeu de diaphragmes sous forme de petits cylindres interchangeables. Un condenseur selon Abbe constitue une formule plus sophistiquée. Le statif est muni, au-dessus du miroir, d’un support escamotable pour diaphragmes plats (notamment des pastilles destinées à réaliser un fond noir aux faibles grossissements) qui être décentré. Il y a par ailleurs un condenseur à deux focales. (Le rayon de courbure n'est pas le même au centre que dans un anneau en périphérie.) Nous en ignorons encore l’utilité, la façon de l’employer. Toute information est bienvenue ! Enfin, dans le coffret se trouvait une étonnante petite lentille hémisphérique cerclée de métal. Par chance, celle-ci n’a pas été égarée en plus d’un siècle, alors que les condenseurs précités la rendaient obsolète. En effet, Leopold Dippel, en 1882, cité par Frison, relève qu’elle est mentionnée dans le catalogue Seibert de 1876 ; les utilisateurs étaient censés la faire adhérer à la face inférieure de la lame porte-objet grâce à de l’eau ou de la glycérine. On peut y voir une proposition optiquement supérieure à un simple diaphragme, mais cela manque singulièrement de commodité. Tout aussi surprenante est la présence d’un deuxième double miroir monté sur un bras articulé (amovible). On imagine difficilement qu’il ait pour fonction de permettre un éclairage oblique rudimentaire en remplaçant le miroir principal qui, lui, s’attache à une plaque fixée à demeure. L’explication se trouve peut-être plus loin…
Quelques éminents savants accordèrent leur faveur aux microscopes Seibert III et IV.
- Proche de Léo Errera, Henri Ferdinand van Heurck, botaniste et diatomiste belge de renommée international et par cette activité, très critique quant à la qualité des microscopes, dit grand bien de ce matériel qu’il décrit déjà en détail, en 1878, dans la troisième édition de son livre Le microscope, sa construction, son maniement, et son application à l’anatomie végétale et aux diatomées, et avec davantage de précisions dans l’édition suivante. (Voilà, au passage, un personnage étonnant dont le parcours mérite qu'on s'y attarde à l'occasion.)
- Hans Christian Gram aurait utilisé un microscope de cette lignée lorsqu’il a mis au point, en 1884, la coloration devenue célèbre qui porte son nom.
- Comme il le précise dans Zellsubstanz, Kern und Zellteilung (Vogel, 1882), Walther Flemming a utilisé un tel microscope pour ses observations sur la mitose. Il éclairait les préparations par transparence, mais aussi par-dessus, à l’aide d’un second miroir…
- Après avoir longuement utilisé un microscope Hartnack très réputé en son temps, Robert Koch, qu’on ne présente plus, a commandé en décembre 1876 un système Seibert : un statif n°3, une gamme d’objectifs dont un V et un VII ainsi que des oculaires 0, I et III et, par ailleurs, un dispositif pour prise de vues. À l’aide de ce matériel, il a réalisé la première photographie d’une bactérie (celle de l'anthrax en l’occurrence) et d’autres aussi remarquables qu’il publiera en 1877 dans Verfahren zur Untersuchung, zum Conserviren und Photographiren der Bacterien. Son volumineux banc photographique était disposé horizontalement, ce qui interdisait l’emploi, en guise de condenseur, de la petite lentille plan-convexe mentionnée plus haut. Dans ses écrits très détaillés, on lit qu’il utilisait à la place des objectifs Hartnack II ou IV. Ceux-ci étaient adaptés au cylindre qui, sinon, porte un simple diaphragme. Koch s’inspirait en cela d’une pratique courante chez les Anglais. La photographie ayant apporté des exigences nouvelles quant à la qualité optique, lorsque Ernst Abbe, chez Zeiss, proposa un objectif à immersion homogène, Koch opta tout de suite pour cette solution. Avant quoi, il avait écrit : « en ce qui concerne le choix des objectifs, j’ai d’abord utilisé les objectifs Hartnack (No. VII et IX Immers.), mais n’étais pas très satisfait des images réalisées. Ensuite, j’ai acheté les objectifs photographiques Seibert de 1 pouce, 1/4 pouce, 1/8 pouce et les VII, VIII et IX à immersion et j’ai obtenu de si bons résultats que je n’ai travaillé qu’avec ces objectifs ».
N’est-ce pas une belle conclusion pour cet article ?
À propos des sources : les microscopes Seibert sont commentés dans diverses collections de par le monde. Mais, en principal, il y a les textes originaux de van Heurck, Flemming et Koch. La communication d'Ed. Frison, Robert Koch's eerste tekeningen en fotomicrografieen van bacterien(Mededeling 13-1 uit het Rijksmuseum voor de Geschiedenis der Natuurwetenschappen te Leiden, 1967) est, elle aussi, édifiante.
Pierre Devahif
Collection de microscopie