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Le pot à crème
Écomusée du Viroin
Fig. 1. « Pot à crème en grès »
Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse – XIXe s. – Coll. Écomusée du Viroin
Fig. 2. Barattes à piston ou "boutroules"
Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse – 2e moitié du XIXe s. – Coll. Écomusée du Viroin
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Affiche – C. 1950 – Office national du lait – Coll. Écomusée du Viroin
La FENIX, la nouvelle écrémeuse suédoise
Affiche publicitaire - s.d. - J.J. (publiciste) – Coll. Écomusée du Viroin
Le contexte
La consommation du lait et de ses dérivés a, pendant très longtemps, été freinée à la fois par les difficultés de conservation de ces produits délicats et par les lenteurs des moyens de transport attelés. Si la crème et le beurre sont bien présents au XIXe siècle sur les tables des bourgeois urbains, ce n'est véritablement qu'au XXe siècle que ces ingrédients investissent les gastronomies régionales et populaires.
Toutefois, localement, une production laitière de plus grande ampleur et accessible aux ruraux plus modestes pouvait exister lorsque des facteurs géographiques, culturels ou environnementaux la favorisaient. C'est par exemple le cas à Chimay, avec la production fromagère de l'abbaye trappiste de Scourmont, et à Cul-des-Sarts, dont les terres étaient peu propices aux cultures céréalières. Ces localités étaient connues dès le milieu du XIXe siècle pour leurs vastes bocages et leur production de laitage.
À la fin du XIXe siècle, l'engouement pour le lait et le beurre augmente alors que les techniques de conservation et les moyens de transport connaissent des améliorations sans précédent. Au même moment, le secteur agricole belge, majoritairement tourné vers la production céréalière, traverse une terrible crise.
Dans ce contexte, l'agriculture wallonne amorce sa transformation progressive vers une économie centrée sur l'élevage. Les paysages ruraux se modifient ; dans de nombreuses localités, les champs céréaliers d'autrefois laissent la place à de vastes étendues herbagères où paissent les troupeaux.
Jusqu'au début du XXe siècle, la production de crème et de beurre dans les petites exploitations agricoles est encore réalisée essentiellement de manière traditionnelle : traite réalisée à la main, une tèle pour écrémer, un pot en grès (fig. 1) pour faire maturer la crème et une baratte à main (fig. 2) pour fabriquer le beurre. Toutefois, un changement d'échelle important s'amorce à partir des années 1890 : plusieurs sociétés de laiterie, souvent constituées sous forme de coopératives, sont créées par des groupements de producteurs laitiers afin de transformer industriellement le lait en crème et en beurre.
Néanmoins, en Wallonie (surtout dans les provinces de Namur et de Luxembourg), cet essor n'a pas connu la même dynamique que dans le nord du pays. La transformation du lait a en effet longtemps été maintenue dans le giron des fermes familiales. La crème, produite sur place, était ensuite revendue aux laiteries ou transformée à la ferme en « beurre de ferme ».
Cette spécificité culturelle locale a été rendue possible par l'invention de petites machines à traire, à écrémer et à fabriquer le beurre, qui permirent de concurrencer la production industrielle. De nombreuses exploitations fermières locales s'équipèrent de ces machines à partir des années 1910. En 1964 encore, seuls 24% du lait produit dans la province de Namur sont reversés aux laiteries, contre 91% pour la province d'Anvers.
La fabrication traditionnelle du beurre
La crème est la matière grasse du lait. C'est à partir de la crème qu'est produit le beurre. Le fromage est produit, quant à lui, directement à partir du lait entier grâce au procédé du caillage (adjonction de ferments lactiques ou de présure), qui le transforme, par coagulation de la caséine, en un gel lisse et homogène.
La fabrication traditionnelle du beurre s'appuie sur une méthode ancienne, déjà connue des Romains et dont des traces archéologiques sont documentées pour nos régions durant la période gallo-romaine (Ier-Ve s. après J.-C.).
1. L’écrémage[1]
Cette opération consiste à séparer, par décantation, la crème du reste des constituants du lait : eau, caséine, lactose, sels minéraux, etc. Pour y parvenir, l'artisan.ne laisse reposer le lait dans un endroit frais pendant plusieurs dizaines d'heures, dans des cuvettes en terre vernissée appelées tèles ou telles (fig. 3). Les particules de matière grasse plus légères montent progressivement à la surface. En fin d'opération, elles forment une couche opaque et jaunâtre : la crème. Un bec-verseur facilite le versage du lait écrémé, qui se trouve au fond du récipient.
Fig. 3. « Tèles à crémer »
Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse – XIXe s. – Coll. Écomusée du Viroin
2. La maturation
Avant de pouvoir utiliser la crème en cuisine ou pour continuer sa transformation en beurre, l'artisan.ne la laisse maturer pendant plusieurs jours dans de grands pots, généralement en grès, recouverts d'une étamine, à une température contrôlée afin que s'y développent un arôme et une certaine acidité.
3. Le barattage
Le barattage consiste à agiter la crème par une force mécanique à température contrôlée afin de provoquer l'agglomération des globules de graisse. La baratte à piston, dite également « boutroule » (fig. 2), est l'outil traditionnel utilisé pour le barattage entre le XVIe siècle et le XIXe siècle. Elle sera progressivement remplacée par des barattes à tonneau (fixe ou rotatif) plus performantes.
Lorsque le barattage est terminé et que le beurre est entièrement agglutiné, l'artisan.ne évacue de la baratte le babeurre, un liquide composé du sérum de la crème et des débris de la membrane des globules graisseux. Ce liquide au goût aigrelet était traditionnellement utilisé pour l'engraissage des cochons ou pour certaines recettes de cuisine locales.
4. Le délaitage et le malaxage
Une fois le beurre obtenu, il faut encore le laver à l'eau fraîche, directement dans la baratte, afin de le débarrasser des dernières impuretés et d'ainsi améliorer sa conservation. Le beurre, salé ou non, est ensuite malaxé avec un morceau de bois dentelé (fig. 4) afin de bien homogénéiser le produit. La dernière étape consiste à mouler le beurre selon la forme voulue, dans un moule dédié (fig. 5).
Fig. 4. Palette à beurre
Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse – 2e moitié du XIXe s. – Coll. Écomusée du Viroin
Fig. 5. Moule à beurre
Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse – 2e moitié du XIXe s. – Coll. Écomusée du Viroin
[1] Voir « L’écrémeuse Mélotte », dans Lettre d’information du Réseau des Musées de l’ULB, 16, 2018, p. 16-18.
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Guérand Gautier
Ecomusée de Viroin