Tamara Puttemans - Musée des plantes médicinales et de la pharmacie

La pratique de la médecine est intimement liée à l’histoire de l’Homme. Les connaissances sur l’utilisation de substances végétales, minérales ou encore animales comme remèdes furent d’abord transmises oralement, puis consignées par écrit dans des recueils appelés tantôt « antidotaires », « codex », « dispensaires », ou encore « matière médicale ». Ces recueils sont assimilés à ce que l’on appelle aujourd’hui des « Pharmacopées » (fig. 1).

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Fig. 1. Pharmacopée Belge, 1951, 4e édition, Musée des plantes médicinales et de la pharmacie, ULB


Le terme « Pharmacopée », créé à la Renaissance, est issu du grec farmakopoiia et signifie « l’art de fabriquer des médicaments ». Ce terme est lui-même issu des mots farmakon (remède/poison) et poiéô (fabriquer). La définition d’une pharmacopée a évolué au fil du temps, passant d’un ouvrage traitant des matières premières d’origine végétale, animale ou minérale, de leurs propriétés et leur emploi pour soigner maux et maladies, de portée locale ou régionale, à un ouvrage déterminant des normes de qualité et des méthodes d’analyse de ces substances, possédant un caractère légal, obligatoire et s’appliquant à un État, voire à un niveau international.
 

Un peu d’histoire ...

On retrouve des ouvrages de ce genre de tous temps et partout dans le monde ; il en va ainsi des tablettes d’argile de Nippur (Mésopotamie), écrits médicaux rédigés en écriture cunéiforme, datant de 2800 ans av. J.-C. (fig. 2), ou du « Papyrus d’Ebers » (Égypte) écrit aux alentours de 1500 av. J.-C. Plus tard, en Grèce et à Rome, plusieurs savants rédigent des recueils de formules pharmaceutiques et de remèdes traditionnels ainsi qu’une description de leur emploi : au Ier siècle de notre ère, citons Scribonius Largus, médecin de l’armée romaine, et son Compositiones ; Pline l’Ancien, naturaliste romain, et son Histoire Naturelle ; Dioscoride, médecin militaire de Néron, et son célèbre De Materia Medica. Sans compter Galien, considéré comme le père de la pharmacie moderne, auteur de trente ouvrages sur le sujet.

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Fig. 2. Tablette médicale de Nippur, 2200 av. J.-C., Penn Museum (USA)
 

Entre le Ve et XVe siècle, la civilisation arabo-musulmane enrichit ses connaissances des textes égyptiens, grecs, romains, chinois et hindous. Cette époque est marquée par de grands mouvements de traduction des textes anciens, notamment par Yuhanna Ibn Mâsawayh ou « Jean Mésué », médecin perse (IXe s.), ou encore par Ibn Sina ou « Avicenne », philosophe et médecin perse (XIe s.). Grâce, notamment, aux échanges commerciaux, nos régions se voient très influencées par les apports arabes, jusqu’à nos connaissances médicales.

À la fin du XIe siècle, en Italie, ouvre une école médicale, l’École de Salerne, où sont enseignées les disciplines médicopharmaceutiques. L’enseignement de la pharmacie repose sur le Regimen sanitaris salernitatum, dont dérive l’Antidotarium magnum. Ce dernier restera une référence pour tous les apothicaires pendant plusieurs siècles. En Europe, les apothicaires ont recours à différents ouvrages de référence (de la ville ou région d’exercice ou encore d’un centre universitaire), tantôt rédigés par des corporations de médecins ou d’apothicaires, tantôt par un seul professionnel. Citons l’Antidotaire de Mésué (le Jeune) (XIIe s.), le Canon d’Avicenne (XIe s.) ou Le petit antidotaire de Nicolas de Salerne (1160). L’Antidotaire Nicolas (fig. 3), ouvrage rédigé en grec (1300) et traduit par la suite, deviendra obligatoire pour les apothicaires de Paris dès 1321.

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Fig. 3. L’Antidotaire Nicolas, traduction de l’Antidotarium Nicolai, éd. de 1896, Paris, Bibliothèque nationale de France
 

En Europe, la régularisation et la séparation des professions de médecin et de pharmacien à partir du XIIIe siècle ont pour conséquence la rédaction de nombreuses « pharmacopées » au sein de nombreuses villes. Il est aussi fréquemment demandé aux apothicaires et aux médecins de collaborer à la rédaction de ces ouvrages, destinés aux apothicaires, dans le but de lutter notamment contre les charlatans et les malfaçons. Citons le Ricettario fiorentino (fig. 4), paru à Florence en 1499, qui peut être considéré comme la première pharmacopée officielle. Paraissent ensuite la Pharmacopoea Blaesensis Blaesis (1634), la Pharmacopée de Moyse Charas (1697), la Pharmacopée universelle de Nicolas Lemery (XVIIe s.), les Pharmacopées d’Édimbourg, de Londres, de Madrid, de Liège, etc.
 

Fig. 4. Frontispice du Ricettario fiorentino, 1567, Académie royale des Beaux-Arts de San Fernando, Madrid
 

Petit à petit, les villes et les pays d’Europe rendent obligatoires certains ouvrages dans les officines. À Paris, à partir de 1748, tous les apothicaires doivent obligatoirement être en possession du Codex medicamentarius (1638), sous peine d’amende. Toujours en France, après la Révolution française, les pharmacopées régionales disparaissent. La Loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803), qui règle l’exercice de la pharmacie, instaure la « Commission nationale de la Pharmacopée » et demande une rédaction d’un codex unique et obligatoire pour tout le territoire français, afin d’uniformiser les connaissances et les formules médicamenteuses à travers le pays. Ce dernier, le Codex medicamentarius seu Pharmacopaea Gallica, rédigé par des médecins et des pharmaciens, est publié en 1818. Il est réédité régulièrement avant d’adopter finalement le nom de Pharmacopée française. Il s’agit de la première pharmacopée nationale en Europe.

Au cours du XIXe et du XXe siècles, l’idée de la rédaction d’une pharmacopée internationale fait son chemin. La fin de la Seconde Guerre mondiale accélère ce processus en Europe, permettant la création de la Pharmacopée européenne en 1969.
 

Depuis 1989, la Direction européenne de la Qualité du Médicament & Soins de Santé du Conseil de L’Europe (EDQM), en collaboration avec la Pharmacopée japonaise, l’United States Pharmacopeia Convention et l’Indian Pharmacopoeia Commission, sous l’observation de l’OMS, forment le Groupe de Discussion des Pharmacopées (GDP), dont l’objectif est d’harmoniser internationalement les pharmacopées afin de faciliter la mise sur le marché et le libre-échange des médicaments à travers le monde.
 

Les pharmacopées aujourd’hui

Comme on a pu le voir, les pharmacopées ont d’abord été rédigées par un seul auteur avant de l’être par des corporations de médecins et de pharmaciens, puis par des autorités gouvernementales, ce qui leur donne alors un caractère officiel, légal et obligatoire sur un territoire donné. Il existe ainsi des pharmacopées officielles nationales (Pharmacopée française) et internationales (Pharmacopée européenne, Pharmacopée internationale)[1].

Le but des pharmacopées officielles est d’assurer la qualité, la sécurité et l’innocuité des médicaments vendus sur un territoire donné via l’établissement de normes de qualité et des méthodes de contrôle de cette qualité.

Par exemple, en Belgique, le pharmacien d’officine est responsable de ce qu’il délivre. Il doit s’assurer que le laboratoire auprès duquel il s’approvisionne possède les autorisations nécessaires et respecte la pharmacopée officielle en vigueur (la Pharmacopée européenne en l’occurrence). De son côté, le laboratoire souhaitant commercialiser des médicaments dans un pays donné doit s’assurer de la conformité de son produit au regard de la pharmacopée en question.
La Pharmacopée européenne (Ph. Eur.) est rédigée par la Commission européenne de Pharmacopée à Strasbourg et est soutenue par l’EDQM. Son rôle est d’assurer la qualité[2] des médicaments à usage humain et animal commercialisés en Europe.
La Ph. Eur. se compose d’un recueil de 3000 textes, les “monographies”, détaillant des normes de qualité et des méthodes d’analyse permettant d’identifier et de contrôler qualitativement et quantitativement une substance ou un produit fini.
D’année en année, elle s’est imposée comme ouvrage de référence et est juridiquement contraignante pour ses États membres (39 pays européens au total, dont ceux de l’UE) et pour tous les fabricants de médicaments souhaitant les commercialiser dans ces pays.
Depuis 1969, date de sa première édition, la Ph. Eur. est rédigée en français et en anglais. Elle a été disponible en version papier, puis en ligne, jusqu’à sa 11e édition. La 12e édition quant à elle, est disponible exclusivement en ligne (fig. 5) !

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Fig. 5. Bandeau de présentation de la 12e édition de la Ph. Eu., site de l’EDQM, 2025
 

Le Musée des plantes médicinales et de la pharmacie conserve un exemplaire de la quatrième édition de la Pharmacopée Belge (1951) et la 2e édition de la Pharmacopée européenne (1980). Chaque pharmacopée est le recueil des connaissances de son temps et de sa région du monde. Et vous, dans quelle pharmacopée aimeriez-vous vous plonger ?
 

Bibliographie :

 

Articles :

Ouvrages :

  • M. Vanhaelen, R. VanhaelenFastré, Plantes d’autrefois, médicaments d’aujourd’hui, 2e édition, Musée des Plantes Médicinales et de la Pharmacie, ULB, Bruxelles.
  • Mazloum V. Quelques notes sur l'histoire des pharmacopées et de leurs auteurs : The Chemist and Druggist, 25 juin 1927. In: Bulletin de la Société d'histoire de la pharmacie, 16ᵉ année, n°58, 1928. pp. 5358. Consulté en ligne sur le site Persée le 02-11-25. www.persee.fr/doc/pharm_0995838x_1928_num_16_58_10518_t1_0053_0000_3
  • J.B. Van Mons, Pharmacopée manuelle, Imprimerie d’E. Flon, Bruxelles,1800. Consulté en ligne sur le site Gallica le 11-11-25. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4221712r

Sites internet :

Illustrations :

 

[1] D’un autre côté, il existe toujours des pharmacopées dites “traditionnelles”, issues de traditions populaires.

[2] Le volet sécurité et innocuité sont assurés par une autre agence, l’Agence Européenne des Médicaments (EMA).

Mis à jour le 15 décembre 2025