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La Machine de Wimshurst : entre Volta et le CERN…

Expérimentarium de physique

Des conducteurs sous influence…

Les charges électriques existent sous deux formes, positives et négatives, et composent la matière de sorte qu’un matériau neutre possède autant de charges positives que négatives. En 1785, Charles-Augustin Coulomb (1736-1806) a énoncé qu’une force agit entre ces charges électriques et est attractive lorsque les charges sont de signe opposé ou répulsive lorsqu’elles sont de même signe ; il a même pu en mesurer l’intensité considérable.
Grâce au frottement, il est cependant possible de générer un surplus de charges électriques sur certains matériaux isolants : c’est l’effet triboélectrique. Par exemple, en frottant un pull en laine contre des cheveux, ceux-ci accumulent des charges électriques et s’ébouriffent car les cheveux portent alors des charges de même signe et pareilles charges se repoussent. Il est également possible de faire se dresser les poils du bras en approchant un ballon de baudruche (frotté au préalable et donc électrisé) sans qu’il y ait contact : l’effet augmente lorsqu’on approche le ballon, mais se produit à distance. Dans cette situation, les charges électriques ne se transfèrent pas du ballon jusqu’au poil : on parle d’électrisation par influence. Il est possible d’appréhender le principe d’influence d’une charge électrique grâce au concept de champ électrique ; ce champ électrique existe partout dans l’espace autour d’une charge électrique et modifie donc les propriétés de l’espace autour de cette charge.
Les matériaux conducteurs ont la particularité de pouvoir réorganiser les charges qui les composent de façon à compenser le champ électrique extérieur dans lequel ils sont plongés ; c’est le principe de la cage de Faraday, inventée en 1836, mais dont le phénomène avait déjà été relaté en 1754 par l’abbé Jean Antoine Nollet (1700-1770). Si l’on place une plaque conductrice – métallique – face à un matériau chargé – par exemple par effet triboélectrique et chargé négativement sur le dessin – sans contact, des charges de signe opposé vont s’installer sur les faces de la plaque conductrice.
L'électrophore de Volta
L'électrophore de Volta
 
Si on prélève les charges « - » sur le dessus de la plaque, par exemple en touchant cette face ou en la reliant à la terre, la plaque conductrice se retrouve maintenant en excès de charges « + » et on peut récupérer celles-ci dans une bouteille de Leyde – l’ancêtre du condensateur [1].
Pour écarter la plaque conductrice et récupérer ces charges, il faudra lutter contre l’attraction électrostatique, mais il est désormais possible de séparer les charges dans la matière. Ce dispositif a été inventé en 1762 par le professeur suédois Johan Carl Wilcke (1732-1796), mais c’est le savant italien Alessandro Volta (1745-1827), qui a amélioré et popularisé le dispositif en 1775 en le nommant « électrophore ». C’est également Volta qui postule qu’il serait possible d’accumuler autant de charges qu’on le souhaite en réitérant le procédé indéfiniment.
 

Machines électrostatiques : la tension monte…

C’est sur le principe de fonctionnement de l’électrophore que toute une série de physiciens ou inventeurs plus ou moins connus vont tenter de séparer toujours plus de charges. Cette séparation exige une dépense énergétique et l’énergie fournie aux charges permet de générer des tensions électriques de plus en plus intenses. Mais qu’est-ce que la tension électrique ?
Le potentiel électrique, qui s’exprime en volts (V), correspond à une quantité d’énergie portée par une charge ; nous savons qu’une charge électrique génère un champ électrique autour d’elle et qu’elle peut influencer une autre charge dans son voisinage, en l’attirant ou la repoussant. Au champ électrique, on va pouvoir associer un potentiel électrique qui indiquera la quantité d’énergie par unité de charge nécessaire pour maintenir une charge quelconque à une certaine distance de la charge qui génère ce champ électrique ; ce potentiel ne dépend que de la valeur de la charge qui génère le champ. En comparant les valeurs du potentiel en deux points de l’espace, on mesure la différence de potentiel électrique, aussi appelée « tension électrique ». Cette tension, qui se mesure également en Volts (V), n’a de sens que si on réussit à maintenir des charges de signe opposé en deux points distincts de l’espace ; c’est ce qui se passe par exemple grâce à une réaction chimique dans les piles et batteries.
La machine de Wimshurst de l'Expérimentarium de physique
La machine de Wimshurst de l'Expérimentarium de physique

Il est donc théoriquement possible de générer une tension électrique aussi grande qu’on le souhaite en séparant toujours plus de charges électriques dans un matériau et c’est ce que l’on essaye de faire avec les machines électrostatiques. Le dispositif joue à la fois sur le principe de l’électrophore et sur les contraintes géométriques de ces machines : deux disques isolants (en verre) sur lesquels on place des secteurs métalliques vont générer à la surface de ces secteurs conducteurs des charges de même signe que celui du verre, que l’on va faire passer sur l’autre disque grâce à des balais, augmentant les charges sur les matériaux isolants. Les balais doivent être inclinés et placés en X afin que les charges se retrouvant sur l’autre disque ne viennent pas neutraliser celles qui s’y trouvaient déjà. Des collecteurs conducteurs vont ensuite être placés stratégiquement autour des disques. Ils jouent le rôle de cage de Faraday et sont reliés à des condensateurs (bouteilles de Leyde) pour y stocker les charges de signe opposé (comme le conducteur de l’électrophore). Lorsque les disques tournent, le champ généré par le disque va influencer l’autre disque et le nombre de charges récupérées augmentent exponentiellement.
Schéma de fonctionnement de la machine de Wimshurst
Schéma de fonctionnement de la machine de Wimshurst
 
Ces machines électrostatiques ont été développée durant le XIXe siècle pour en arriver au modèle de Wimshurst entre 1880 et 1883, devenu populaire grâce à l’obtention de tensions de l’ordre de 15 à 20 kV.
Il est possible d’encore augmenter l’efficacité de la machine en plaçant plusieurs disques en parallèle, comme on peut le voir dans le modèle exposé à l’Expérimentarium de physique.
Au début du XXe siècle, on découvrit qu’il était possible d’augmenter le rendement de ces machines en les plaçant dans une atmosphère de dioxyde de carbone sous haute pression ; en effet, la densité maximale de champ électrique dans l’air est très faible, ce qui implique que le champ généré aura tendance à s’étaler autour de la machine. En utilisant un autre gaz, on peut confiner le champ électrique autour des disques et ainsi augmenter leur capacité à se charger.
La machine de Wimshurst de l'Expérimentarium de Physique. On peut voir qu’elle est composée de deux doubles disques de verre.
La machine de Wimshurst de l'Expérimentarium de Physique. On peut voir qu’elle est composée de deux doubles disques de verre.


Les machines électrostatiques et leurs applications

Outre l’aspect didactique des machines de Wimshurst, qui permettent d’engendrer facilement des tensions si élevées qu’une décharge électrique puisse se produire dans l’air et former un arc électrique de quelques centimètres (tension ~ 8000V), les machines de Wimshurst ont notamment été utilisées comme générateurs de haute tension pour alimenter des ampoules de Crookes  et générer des rayons cathodiques, mais également ce que Roentgen appellera des rayons X. Le médecin britannique John Hall-Edwards (1858-1926) est un pionnier de l’imagerie médicale et se dotera d’une machine de Wimshurst pour alimenter son ampoule à rayon X et effectuer les premières radiographies lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud en 1900.
Le générateur de Van der Graaf, autre machine électrostatique à influence, sera le premier générateur à haute tension utilisé dans les accélérateurs de particules à partir des années 1930.

Jean-Rémi Dierickx

Pour aller plus loin

[1] Voir: P. Léonard, « La bouteille de Leyde », Lettre d’information du Réseau des Musées de l’ULB, 2016, 12, p. 7
[2] Mascart, E. E. N., Traité d’électricité statique, Paris, Masson, 1876.
[3] Oxford Dictionary of National Biography (https://www.oxforddnb.com/).
[4] Pancaldi, G. Volta, science and culture in the Age of Enlightenment, Princeton University Press, 2003, p. 73–105.
[5] Van de Graaff, R. J., K. T. Compton & L. C. Van Atta, “The electrostatic production of high voltage for nuclear investigations”, Physical Review, 43, 1933, p. 149-157.
[6] Wimshurst, J., “A New Form of Influence-Machine”, Proceedings of the Physical Society of London, 12(1), 1892 (DOI 10.1088/1478-7814/12/1/326).
 
Mis à jour le 21 mars 2025