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La machine à calculer Denon-Kling modèle 522
Expérimentarium de Mathématique et d'Informatique -- Collection Informatique
La collection informatique de l’ULB possède plusieurs machines à calculer historiques, allant de la machine mécanique à la machine électronique. Cette fois-ci, nous présentons une machine à calculer de marque Denon-Kling, modèle 522, au sujet de laquelle nous avons malheureusement peu d’informations. Il s’agit d’une machine typique de ce que l’on pouvait trouver dans un environnement de bureaux durant les années 1970.
Nous ne connaissons pas avec certitude l’origine de cette machine. La face arrière présente une étiquette en plastique portant un numéro, ce qui suggère qu’elle a été en usage dans une entreprise qui inventoriait son matériel. Nous savons que le fondateur de la collection, le professeur Guy Louchard (1936-2023) [1], a récupéré de nombreuses machines à calculer dans des banques ; nous pouvons donc supposer que c’est ainsi que cette machine a rejoint la collection.
Les circuits imprimés à l’intérieur de la machine portent, quant à eux, le nom de l’entreprise « Nippon Columbia », alors que les étiquettes collées sur la machine affichent les marques « Denon » et « Kling (modèle 522) », deux marques bien différentes. Tentons d’élucider cela.
La Nippon Columbia est, comme son nom l’indique, une entreprise japonaise. Il s’agit d’un label discographique, fondé en 1910 [2]. Cette société possède la marque Denon, bien connue des audiophiles pour produire de l’équipement audio de haute qualité. Denon a notamment été l’un des pionniers des équipements audionumériques en produisant, à partir de 1972, le premier enregistreur numérique à 8 canaux, le DN-023R [3]. Cette expertise en matière d’électronique numérique a donc permis à la Nippon Columbia de développer d’autres produits, comme la machine à calculer qui nous intéresse – et qui était vendue sous la marque Denon aux États-Unis, notamment.
Quelle est alors l’origine de l’étiquette « Kling » ? La société Robert Kling GmbH est une société allemande (Wetzlar) qui a existé de 1918 à 1975. Elle a été fondée par Robert Kling (1885-1955) et commercialisait des roulements à bille, mais aussi, depuis 1949, des machines à calculer, d’abord mécaniques puis électroniques, ainsi que des caisses enregistreuses [4]. À partir de 1958, la société arrête de produire ses propres modèles de machines à calculer, mais continue d’assembler et de commercialiser, sous sa marque « Rokli », des modèles de machine à calculer développées par les firmes Schubert & Ko (Allemagne) et Calcorex (Tchécoslovaquie) [5]. En 1963, la Robert Kling GmbH déménage toute la production de machines à calculer en Belgique, dans la ville de Wervik. Il s’agit d’une petite ville flamande à la frontière française, qui possède encore une « Robert Klingstraat », témoin de l’importance que cette société y a eue. L’usine se trouvait d’ailleurs au numéro 19 de cette rue. On y assemblait donc, en Belgique – pour éviter les taxes d’importation sur les produits finis –, les calculatrices produites par d’autres firmes, pour les commercialiser sous la marque « Kling ». Cette usine a fermé ses portes en 1992.
Pour ce qui est des « tout nouveaux circuits intégrés », il faut soulever le capot de la machine pour voir de quoi il retourne ! À l’intérieur, elle est composée principalement de deux circuits imprimés recouverts en effet de circuits intégrés (les petits rectangles noirs portant la marque « NEC ») et de transistors (les composants brillants ronds). On peut donc assister aux débuts de l’intégration en électronique : chaque circuit intégré contient lui-même plusieurs transistors, fortement miniaturisés, pour réaliser une fonction bien précise. Mais la réalisation de l’ensemble des fonctionnalités de la calculatrice requiert encore de nombreux composants ainsi que certains transistors individuels, alors qu’aujourd’hui, tous ces transistors et bien plus pourraient tenir dans un unique et minuscule circuit intégré. Cette façon de faire est typique de la technologie de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Pour se situer dans le temps, on se souviendra que le premier microprocesseur commercial, l’Intel 4004, a été commercialisé à partir de 1971 et a été initialement conçu pour réaliser les fonctions d’une calculatrice à l’aide de quatre « puces » seulement (un processeur, une mémoire vive, une mémoire morte et un composant pour gérer le clavier et l’affichage). Notre calculatrice ayant été conçue un peu avant cela, elle montre bien l’état de la technologie qui précède le 4004.
Une autre caractéristique marquante des circuits imprimés est le tracé gracieux et courbé des « pistes » de cuivre qui connectent les composants entre eux. À nouveau, cela témoigne de la façon de faire d’une époque où ces circuits étaient dessinés à la main, pour être ensuite imprimés sur la plaque.
Enfin, on ne saurait admirer cette machine sans remarquer son affichage très particulier. Il est composé de 12 tubes « Nixie », qui permettent chacun d’afficher un chiffre entre 0 et 9, ainsi qu’un point décimal. Les tubes Nixie ont été inventés au milieu des années 1950 par David Hagelbarger et commercialisés par la Burroughs Corporation [7]. Ils appartiennent à la famille des tubes à néon – ils sont remplis de ce gaz à basse pression. Chaque tube contient une fine grille métallique appelée anode, chargée électriquement (environ 180 volts), et au moins 10 cathodes, qui ont chacune la forme d’un des chiffres qu’on peut afficher. Ces cathodes sont positionnées l’une au-dessus de l’autre. Si on connecte une cathode au voltage nul, la différence de potentiel avec les 180 volts de l’anode va faire briller la cathode, qui deviendra alors bien visible. La lumière émise est suffisamment forte et les autres cathodes et l’anode sont suffisamment fines pour que seul le chiffre allumé soit visible. Le résultat est un affichage très lisible, avec un caractère très particulier, très « vintage », pour utiliser un terme à la mode. Durant les années 1950 et 1960, les tubes Nixie étaient utilisés de façon courante dans toute une série d’équipements qui demandaient un affichage numérique, comme les appareils de mesure en laboratoire,ou les machines à calculer. Avec l’apparition des diodes lumineuses (LED), les tubes Nixie ont été abandonnés car ils étaient plus complexes à produire, plus fragiles – il s’agit de tubes en verre – et demandaient une tension élevée pour leur fonctionnement.
Si une lectrice ou un lecteur en sait plus, qu’elle ou il ne manque pas de nous contacter !
Gilles Geeraerts
Notes et références
[1] Guy Louchard est l’un des fondateurs du Département des Sciences informatiques de la Faculté des Sciences de l’ULB. Ses recherches ont contribué aux techniques probabilistes pour l'analyse d'algorithmes et à la combinatoire.[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Nippon_Columbia
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Digital_recording
[4] https://www.rechnerlexikon.de/artikel/Robert_Kling
[5] https://hosting.uantwerpen.be/400jaarmechanischrekenen/sch13.htm
[6] http://www.calcuseum.com/scrapbook/BITMAP/BONUS/103127/_SMD103127_XL.htm
[7] https://en.wikipedia.org/wiki/Nixie_tube https://archive.org/details/Burroghs_Nixie_Tube_Catalog_B_W/
Mis à jour le 26 mai 2025