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La boîte didactique sur le ver à soie (Bombyx mori)

Muséum de zoologie et d’anthropologie

Présent dans la collection depuis novembre 1897, un casier en bois vitré, remarquable à plus d’un titre, a traversé plus de 125 ans pour devenir l’objet du mois de mars 2024. Cette composition didactique a le format d’une boîte entomologique (L 45 cm × l 30 cm × H 6 cm). Le couvercle vitré est articulé sur charnières et se ferme grâce à un petit système ajouré fixé au milieu de sa longueur. 

La boîte présente l’évolution du Bombyx du mûrier (Bombyx mori), mieux connu sous l’appellation de « ver à soie » ou « Seidenspinner“ en allemand [fig. 1]. Le mûrier auquel il est lié est l’une des trois espèces d’arbre Mûrier (genre Morus) et n’a rien à voir avec les mûres des ronces (Rubus fruticosus) de nos bois, haies et bords de chemins. Les étiquettes explicatives placées au-dessus des éléments exposés sont rédigées en allemand, la langue officielle du fabricant Lenoir et Forster GmbH établi à Vienne, alors capitale de l’Empire austro-hongrois.   

En raison de son énorme cocon de soie, le ver à soie, chenille du bombyx du mûrier, est le plus célèbre représentant de l’ordre des Lépidoptères. En effet, c'est lui qui produit la prestigieuse fibre de soie naturelle exploitée depuis des millénaires. La sériciculture, culture de la soie par élevage des chenilles de ce bombyx précis, remonterait à des temps immémoriaux. Une légende chinoise conte l’étrange découverte effectuée par la princesse Si-Ling : tandis qu’elle préparait le thé sous un mûrier, un cocon tomba dans sa tasse ; en retirant l’intrus de sa préparation, elle eut l’idée de le dérouler, puis d’en tisser les fils1

Loin des récits légendaires, des fouilles archéologiques récentes attestent d’un début de la sériciculture il y a environ 8500 ans. Les analyses par spectrométrie de masse d’échantillons provenant de sépultures du site néolithique chinois de Jiahu ont en effet permis l’identification des peptides caractéristiques de la fibroïne de la soie2

Si le ver à soie est bien originaire du nord de la Chine, il n’y existerait plus à l’état sauvage. Dans les régions où le ver à soie fut élevé existent encore des témoignages bâtis, comme des magnaneries (maisons d’élevage), ou horticoles, relatifs à la culture des mûriers, nourriture indispensable des chenilles3. Le ver à soie est considéré comme un animal domestique. 

La boîte conservée au Muséum de zoologie et d’anthropologie est remarquable car elle condense en une seule composition 1) dans sa partie supérieure, le cycle de développement complet du ver à soie et 2) dans sa partie inférieure, le résultat de la transformation des cocons en textile via le dévidage du fil continu de chaque cocon en écheveau et le tissage en tissus [fig. 1 à 6].  

Fig. 1. Boîte didactique RG1348 illustrant le développement et la croissance de la chenille du Bombyx du mûrier

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Éric Walravens 

Fig. 2. Vue en perspective de la boîte

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Éric Walravens 

Fig. 3. Détail

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Éric Walravens 

Le développement du Bombyx est illustré par huit tubes en verre contenant des chenilles à différents stades de croissance, des œufs et larves néonates (tube 1) à la chrysalide (« Puppe », tube 8), en passant par quatre stades de mue de croissance de la chenille (« Hautung »), puis les stades de chenille « prête à filer » (« spinnreif ») et « en train de filer » (« spinnend »). 

La chenille produit la soie à partir de glandes buccales séricigères et enroule le fil de soie continu autour d'elle pour se constituer un cocon, qui l’isolera et la protégera pendant la durée de sa métamorphose en papillon (« Schmetterling »). La chrysalide montrée en tube a été extraite de son cocon. Deux cocons percés et deux papillons adultes, mâle et femelle, terminent la rangée de tubes [détail fig. 3]. 

Chacune des chenilles est fixée sur une plaquette blanche et insérée à l’intérieur de l’ampoule. Ces ampoules tubulaires à crochet sont longues de 14 cm et de type pharmaceutique. Elles ont été remplies de liquide de conservation avant d’être scellées. Les ampoules-tubes sont vissées sur le fond de la boîte, bien installées sur six feuilles de mûrier, lesquelles représentent la nourriture spécifique de la chenille. Les feuilles sont ici séchées et décolorées depuis longtemps. Des rubans verts, eux-mêmes épinglés sur le socle, consolident la fixation des ampoules. La face antérieure des ampoules est cylindrique, tandis que leur face postérieure est comme bosselée [fig. 2].   

Les ampoules de type pharmaceutique à crochet utilisées ici est un aspect remarquable de cette composition de Lenoir et Forster. 

Fig. 4. Détail de l’ouverture des cocons percés pour l’émergence du papillon

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Michèle Loneux 

Fig. 5. Détail exposant un écheveau de fil de soie issu d’un cocon dévidé et une ficelle en soie

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Michèle Loneux 

Fig. 6. Détail exposant 6 échantillons de soie tissée en textiles colorés

© Muséum de zoologie et d’anthropologie ULB / Michèle Loneux 

Fig. 7. Robert Thorne, Stanislas Limousin entouré de ses inventions, lithographie, 1957.

D’après College of Pharmacy History, A history of pharmacy in pictures, Washington State University, dia 34, pdf.

Depuis 1850, l’Allemand George André Lenoir (1825-1909), physicien et chimiste, commercialise du matériel scientifique à visée pédagogique et publie des affiches relatives à ces disciplines. Karl Forster (1847-1906) s’associe à Lenoir quelques années plus tard. En 1888, ils installent une fabrique dans le 4e arrondissement de Vienne. Principal fournisseur d’instruments de sciences de l’Empire austro-hongrois, l’entreprise acquiert une belle renommée. Le souci didactique des deux scientifiques ne s'arrête pas à la fabrique de matériel pédagogique, mais s’étend à la publication d’affiches et de cartes afin d’assurer une large diffusion des savoirs4. La présentation de leurs modèles lors de foires et d’expositions internationales leur assure une renommée mondiale5. Férus de nouvelles inventions, les deux entrepreneurs n’hésitent pas à consulter leurs contemporains, tels le physiologiste Sigmund Exner ou le physicien Wilhelm Conrad Röntgen, auquel ils demandent quels tubes il utilise pour ses propres essais6.

À l’affût de nouvelles inventions, Lenoir et Forster ont certainement eu connaissance des inventions du Français Stanislas Limousin (1831-1887), qui possédait une pharmacie à Paris. En effet, après avoir imaginé, en 1866-1867, les appareils à préparer et recueillir l’oxygène – signant ainsi le début de l’oxygénothérapie – et, en 1873, les cachets médicamenteux, Limousin crée en 1886 des ampoules permettant de stériliser les solutés7. À la fin du XIXe siècle, les laboratoires possèdent leur propre verrerie, qui conçoit artisanalement les ampoules par soufflage du verre ; il s’agissait d’ampoules de gros volume, dont l’emploi a désormais totalement disparu. Certaines ampoules sont dotées de deux pointes, dont l’une est courbée en forme de crochet, ce qui permet de les accrocher directement aux potences ou supports de perfusions8

C’est à cette nouvelle technique que recourent Lenoir et Forster afin de conserver les chenilles du Bombyx et d’obtenir une présentation plus pérenne des spécimens. La technologie des ampoules à crochet autorise en effet leur fixation sur le fond de la boîte. 

Acquise en novembre 1897 par l’Université libre de Bruxelles pour ses « Collections d’Histoire naturelle », la boîte de présentation du ver à soie de la société Lenoir & Forster GmbH illustre le détournement ingénieux d’un objet médical à des fins de conservation et d’apprentissage et témoigne de l’effervescence dont les sciences bénéficient à la Belle Époque. 

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Michèle Loneux & Anissa Ouzeroual 

1 Chavancy, G. & M. Marié, « Les Carnets de la soie », Le monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, 2-3, 1991, pp. 149-154. 
2 Gong Y., L. Li, D. Gong, H. Yin & J. Zhang, « Biomolecular evidence of silk from 8,500 years ago », Plos One, 12(11), 2016. 
3 Sériciculture, d’après https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9riciculture
4 Aitken R.A. & M. P. Gil, « The St Andrews Periodic Table Wallchart and its Use in Teaching », Substantia, 3(2), 2019, pp. 47-59.  
5 Callapez, P. et al., « A colecção clássica de Lenoir & Forster e o ensino de Paleontologia e Antropologia na Faculdade de Filosofia da Universidade de Coimbra », dans :  NEVES (ed. lit.), Modelação de Sistemas Geológicos: homenagem ao Professor Doutor Manuel Maria Godinho, Coimbra : Laboratório de Radioactividade Natural da Universidade de Coimbra, 2011, pp. 141-157. 
6 Cf. Lettre manuscrite conservée au Deutsches Röntgen-Museum, 80528 : « Lenoir & Forster an W. C. Röntgen » (20.01.1896) ; https://nat.museum-digital.de/object/742424. 
7 Guitard E.-H., « En l’honneur de Stanislas Limousin », Revue d'histoire de la pharmacie, 106, 1939. p. 98. 
8 Dauphin A., J.-B. Cazalaa, D. Pradeau, H. Chaouky & D. Saince-Viard, « Les solutés de perfusion : histoire d'une forme pharmaceutique majeure née à l’hôpital », Revue d'histoire de la pharmacie, 338, 2003, pp. 219-238. 

Mis à jour le 16 mars 2024