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Entre bobines et ampoules : des électrons à portée de main…
Expérimentarium de Physique
Tout le monde ou presque sait que la matière se compose d’atomes et que ceux-ci peuvent malgré leur nom (a-tomos = insécable) se décomposer en particules plus petites : des protons et neutrons forment l’essentiel de la masse de l’atome concentrée dans un noyau tandis que des particules presque ponctuelles emplissent l’essentiel de l’espace de cet atome autour du noyau : des électrons.
Il est difficile d’imaginer que c’est l’existence de ces électrons que le physicien anglais Joseph John Thomson va démontrer en 1898, au départ d’études expérimentales sur les rayons cathodiques.
C’est un autre physicien anglais William Crookes qui met au point dans les années 1870 les premières ampoules à décharge ou tubes de Crookes : il s’agit d’ampoules de verre à atmosphère raréfiée dans lesquels une cathode et une anode, soumises à une haute tension, vont émettre un rayonnement. Ce rayonnement provient de la cathode chargée négativement et on lui donne assez naturellement le nom de rayonnement cathodique. En présence d’un autre gaz comme l’hélium ce rayon cathodique est visible et est interprété par le « passage de l’électricité » et son effet ionisant dans la matière. Ces tubes seront à la base de beaucoup d’études scientifiques de la fin du XIX° siècle puisque c’est en plaçant un morceau de platine sur le chemin des rayons cathodiques que Röntgen découvre les rayons X en 1895 ; la fluorescence et la phosphorescence de différents sels soumis aux rayonnements de ces tubes de Crookes vont ouvrir la voie de la physique nucléaire…
Il est important de concevoir qu’à l’époque l’électricité et les charges électriques étaient des grandeurs dissociables de la matière (un peu au même titre que le phlogistique pour la chaleur…). Le physicien irlandais George Stoney avait proposé en 1874 la notion originale d’« atome d’électricité » ou « particule d’électricité » en lui donnant le nom d’électron. Thomson se lançait dans l’étude du rayonnement cathodique avec l’intuition d’y dénicher ce grain élémentaire d’électricité.
Thomson est méthodique et la découverte de l’électron passera par 3 étapes :
- Il démontre que la charge électrique « présente dans le rayonnement cathodique » est indissociable de celui-ci. C’est donc le rayonnement cathodique qui « porte » la charge électrique.
- Il démontre que le rayonnement cathodique soumis à un champ électrique créé par un condensateur plan est dévié et sera attiré par la plaque positive : le rayonnement cathodique est chargé négativement.
- Il démontre que le rapport q/m des particules qui composent le rayonnement cathodique est 1000 fois plus grand que celui que l’on trouve pour l’ion hydrogène (ce qu’on sauré être un proton !), le corpuscule porteur de la charge négative est soit hautement chargé soit extrêmement léger.
A la suite de ces expériences et de leur présentation devant la Royal Institution le 30 avril 1897, Thomson propose le modèle atomique du « plum pudding » : au lieu d’une bille plus ou moins grande selon les éléments, les atomes sont composés de charges positives (protons ou les prunes du pudding) baignant dans une pâte de charges négatives. Ce modèle sera ensuite remis en question par les expériences de Rutherford (élève de Thomson) qui démontrera que l’essentiel de la masse de l’atome se concentre en son noyau mais l’électron est bel et bien indissociable de l’atome et de la matière !
L’objet de l’Xp permet de déterminer expérimentalement ce rapport q/m de l’électron ! Il consiste en un « canon à électrons » constitué d’une cathode qui génère des électrons par chauffage indirect (effet thermo-ionique que l’on retrouve dans la « production » d’électrons à l’intérieur du magnétron des fours à micro-onde !) ; ces électrons sont ensuite accélérés linéairement par un système de deux grilles soumises à des tensions de l’ordre de V = -350V. L’ampoule est globalement vide d’air et remplie d’un faible volume d’hélium. En l’absence de champ magnétique, le faisceau cathodique ainsi généré serait une ligne droite verticale.
Durant cette accélération les électrons ont puisé dans l’énergie potentielle électrique pour augmenter leur énergie cinétique : 1/2 mv² = qV ⇒ v² = 2qV/m
Autour de l’ampoule, deux bobines de Helmholtz génèrent un champ magnétique quasi constant d’environ 1,2 mT au centre des deux bobines et perpendiculaire au plan de celles-ci. Suivant la loi de Lorentz, la force magnétique joue le rôle de force centripète et maintient les électrons dans la trajectoire circulaire.
F = mv²/R et F = qvB => v² = q²B²R²/m²
En combinant les deux équations on trouve
q/m = 2V/B²R²
Il est donc possible de déterminer la quantité q/m en mesurant le rayon de courbure de la trajectoire de nos électrons ! Attention toutefois car cette mesure n’est pas aussi évidente qu’il paraît : en effet à mesure que les électrons parcourent un long trajet dans l’ampoule, ils perdent de l’énergie suite aux chocs avec les atomes d’hélium (et c’est d’ailleurs grâce à ces « pertes » d’énergie que nous pouvons observer la trajectoire des électrons…). Il faut donc mesurer ce rayon dans les premiers instants après la sortie des électrons du « canon cathodique ».
Par exemple dans l’ampoule présente à l’Xp on peut mesurer un rayon compris entre 5 et 6 cm.
Avec toutes ces données, on peut évaluer la grandeur q/m de l’électron qui vaut :
q/m = 1,61.1011 C/kg ,
alors que la valeur mesurée avec d’autres appareils probablement plus précis donne q/m = 1,76.1011 C/kg.
Après avoir démontré l’existence des électrons et participé à l’élaboration du modèle atomique, JJ Thomson recevra le prix Nobel en 1906 et sera anobli en 1908.
Enfin, si tout ce développement physique peut faire peur aux plus mathématiquement frileux il reste merveilleux de pouvoir déterminer ce rapport pour des particules élémentaires et de les observer à l’œil nu dans l’ampoule de Crookes.
L'Expérimentatium de Physique